"A LA HANOUKA ON FAIT GRAS !"
(proverbe Yiddish)
IL FAUT SAUVER L'ÂME DU SOLDAT AVIV
Après l'opération "Plomb durci", quelques sanglantes casseroles sont restées attachées à la queue de l'Etat israëlien, notamment par la faute d'esprits chagrins qui voudraient que les guerres se produisent selon certaines règles "humanistes".
Au moment où le Sous-Lieutenant tapote ces lignes, nombre de matafs tsahaliens ayant participé à la fameuse opération se font débriefer le cerveau reptilien par la DRH des armées israëlienne. Il est toujours édifiant de déchiffrer la grammaire particulière des spécialistes, chargés après le massacre - disons "à peine le sang refroidi" - d'oindre le coeur des jeunes recrues du baume de la reconnaissance et de l'absolution. Alors la parole est à un de ces fonctionnaires zélés :
"cela a été une action militaire exceptionnelle dans le sens où elle a fixé de nouvelles limites au code éthique, aussi bien dans l’histoire de Tsahal que dans celle d’Israël dans son ensemble. Il s’agit d’une action qui a causé des destructions massives chez des civils. Je ne suis pas certain qu’il aurait été possible de faire autrement, mais au bout du compte, nous en avons fini avec cette opération et les Qassams ne sont pas paralysées. Il est fort possible que cette opération se répète, sur une plus grande échelle, dans les années à venir, parce que le problème que pose la bande de Gaza n’est pas simple et il n’est pas du tout certain qu’il soit résolu".
Permettez que P.M. Karpov iophylise :
"comme d'hab', on a mis la convention de Genève et tout le fatras onusien sous le coude. Au passage il a bien fallu refroidir de la mère de famille, du chiard et des vioques mais y'a pas moyen d'éviter, tellement qu'ils vivent serrés ces gens-là. Maintenant que l'intervention est over, c'est comme si on avait pissé dans un violon tzigane. Ils sont toujours là, à nous les soupeser avec leurs tubes rouillés. On va sûrement remettre ça, mais en beaucoup plus "sévère"".
Voici maintenant des copiés-collés de déclarations faîtes par des troufions tsahaliens:
Soldat Aviv : "C’était plus comme, genre, tu t’empares d’une maison, tu fiches les occupants dehors et tu t’installes. (...)
Vers la fin de l’opération, il y a eu un plan pour entrer dans une zone de Gaza densément peuplée. Dans les briefings, ils ont commencé à nous parler d’ordres d’ouvrir le feu à l’intérieur de la ville parce que, comme vous le savez, ils ont utilisé une puissance de feu considérable et tué en chemin un nombre énorme de gens, afin qu’on ne nous tire pas dessus et qu’on ne se fasse pas tuer. Au début, l’action consistait à entrer dans une maison. Nous étions censés y entrer avec un véhicule de transport blindé appelé "Akhzarit " (liitéralement ; « cruel ») pour nous introduire à l’intérieur par la porte du rez-de-chaussée et de commencer à tirer une fois à l’intérieur et puis ... J’appelle ça un meurtre .. De fait, nous devions monter étage par étage et toute personne que nous voyions, nous devions la tuer. Je me suis demandé : où est la logique dans tout ça ?"
Ben, c'est la logique de guerre, soldat Aviv ! Allez continue, accouche, ça va te soulager (peut-être...) :
« Au-dessus de nous, on nous a dit que c’était permis, parce quiconque était resté dans le secteur et à l’intérieur de Gaza était de fait condamné, un terroriste, parce qu’ils ne s’étaient pas enfuis. J’ai eu du mal à comprendre : d’un côté, ils n’ont pas vraiment où fuir, mais de l’autre on nous dit que s’ils n’ont pas fui, c’est de leur faute... Ca m’a aussi fait un peu peur. J’ai tenté d’exercer un peu d’influence pour changer cela, autant qu’il était possible depuis ma position de subordonné. A la fin, l’ordre a consisté à entrer dans une maison, de se servir de mégaphones et de dire aux occupants : "Allez, tout le monde dehors, vous avez cinq minutes, quittez la maison, quiconque ne le fait pas sera tué." »
Soldat Aviv, tu crois que pendant une opération de nettoyage, c'est le moment d'avoir des états d'âme ? Tu ne peux t'empêcher d'affirmer que tu as tenté d'atténuer l'intensité de l'intervention en cours, à quoi bon à moins que tu ne croies en un "purgatoire" genre l'ONU où, après la mort (que Karpov te souhaite de vieillesse), tu auras à expliciter 2-3 broutilles commises à l'insu de ton plein gré volontaire.
« Je suis allé voir les soldats et leur ai dit :
"les ordres ont changé. On entre dans la maison, ils ont cinq minutes pour partir, on les fouille pour voir s’ils n’ont pas d’armes, et alors seulement, on commence à investir la maison étage par étage pour nettoyer tout ça..."
Cela veut dire, entrer dans la maison, ouvrir le feu sur tout ce qui bouge, lancer une grenade, tout ça. Et alors, il s’est passé un truc très troublant. L’un de mes soldats est venu me voir et m’a demandé : "Pourquoi ?" J’ai dit : "Qu’est-ce qui n’est pas clair ? On ne veut pas tuer des civils innocents." Lui : "Ah ouais ? Tous ceux qui sont là-dedans sont des terroristes, c’est bien connu." Je dis : "Tu penses que ces gens vont vraiment s’enfuir ? Non, personne ne va fuir" Il répond : "C’est clair." Et ses copains se joignent à lui : "Il faut tuer tous ceux qui sont là-dedans. Ouais, toute personne qui se trouve à Gaza est un terroriste", et tous les autres trucs dont les médias nous farcissent la tête."
Chez toi aussi les médias ils servent à "ça" ?
« Alors, j’essaie d’expliquer au gars que tout le monde là-bas n’est pas terroriste et que, après qu’il aura tué, disons, trois enfants et quatre mères, il montera à l’étage supérieur et tuera encore une vingtaine de personnes. Finalement, il s’avère que la maison a 8 étages, 5 appartements par étage, quelque chose comme 40 - 50 familles à tuer. J’ai essayé d’expliquer qu’il fallait les laisser partir, et seulement alors investir la maison. Ca n’a pas servi à grand-chose. C’est vraiment frustrant de constater que pour eux, dans Gaza, ils ont le droit de faire ce qu’ils veulent, casser des portes ou des maisons, tout ça parce que c’est cool. »
Soldat Aviv, arrête de te cacher derrière ta "conscience". Ce n'est pas de "casser des portes ou des maisons" qui est cool pour tes hommes, mais de se faire des "terroristes", hommes, femmes, enfants, vieux, tout le toutim'. Ce sont de bons soldats ! Admets-le au lieu de jouer sur la corde sensible de ton violon foireux. La preuve, c'est toi-même qui la fournit :
« L’un de nos officiers, qui commande une compagnie, a vu quelqu’un arriver sur une route, une femme, une vieille femme. Elle marchait, assez loin, mais assez près pour s’en prendre à elle. Suspecte ou pas ? Je ne sais pas. Finalement, l’officier a envoyé des hommes sur le toit pour l’éliminer. Par la description de cette histoire, j’ai senti qu’il s’agissait d’un meurtre de sang-froid. »
Soldat Aviv ! Tu déformes la réalité : il ne s'agissait nullement du "meurtre de sang-froid" d'une pauvre mémé qui avait le tort de passer par là. C'était un acte de guerre. La guerre échappe aux lois habituelles. C'est un état de siège permanent, durant lequel chaque soldat dispose d'un permis de tuer virtuel (et effectif). Dans ton esprit traumatisé, la guerre et la paix s'emmêlent.
« C’est ce qu’il y a de bien, genre, à Gaza. Tu vois quelqu’un marcher sur une route. Il n’a pas besoin d’être armé, tu n’as pas besoin de l’identifier, tu tires et c’est tout. Avec nous c’était une vieille femme, sur qui je n’ai vu aucune arme. L’ordre était dé l’éliminer au moment où tu la voyais. »
Toujours une prérogative spécifique à l'état de guerre. Les ordres surpassent l'habituelle "morale" dominante. Il n' y a plus personne hormis des suspects, des ennemis, des espions, des terroristes, bref des cibles. Cela est corroboré par le fait que l'armée tsahalienne l'a emporté. La preuve :
"L’intention était de protéger les soldats par la puissance de feu. Dans l’opération, les pertes de Tsahal ont été vraiment minimes, et le prix a été que beaucoup de Palestiniens ont été tués. (...)
Il n’y a pas eu un ordre permanent précisant qu’il fallait une autorisation pour ouvrir le feu. Cet ordre existe, au-delà d’une certaine ligne. L’idée est que tu as peur qu’ils ne t’échappent. L’attitude est très simple. Ce n’est pas agréable à dire, mais tout le monde s’en fiche. On n’enquête pas là-dessus. C’est du combat, de la routine en matière de sécurité".
De la "routine". La guerre, ce n'est que cela, un quotidien, des instructions, une procédure. Ceux qui veulent chercher la petite bête en matière de victimes ne sont que niais.
« Ce dont je me souviens en particulier, c’est qu’il régnait au début un sentiment de mission quasi religieuse. Mon sergent étudie dans une yeshiva. Avant l’attaque, il a réuni tout le bataillon et conduit une prière pour ceux qui partaient se battre. Un rabbin de brigade se trouvait là. Après,le rabbin est venu dans Gaza et s’est déplacé dans tous les sens pour nous taper sur l’épaule, nous encourager et prier avec d’autres. Quand nous étions à l’intérieur de Gaza, ils nous envoyaient aussi ces livrets remplis de psaumes, une tonne de psaumes. Je pense que, au moins dans la maison où nus sommes restés une semaine, on aurait pu remplir la maison avec tous les psaumes qu’ils nous ont envoyés, et d’autres livrets du même genre. »
Quoi de plus propice à la prière, aux religieuseries et à la lamentation incantatoire qu'une mission pacificatrice, quand on a l'occasion à chaque action que l'on commet, de soupeser son âme à l'aulne des valeurs sâcrées...
"Le rabbinat a apporté un tas de petits livres et d’articles et ... le message était très clair. Nous sommes le peuple d’Israël, nous sommes venus sur cette terre par miracle, Dieu nous a ramenés sur cette terre, et maintenant, nous devons combattre pour expulser les Gentils, qui nous gênent dans notre conquête de la terre sainte. C’était ça le message principal, et beaucoup de soldats avaient le sentiment que cette opération était une guerre religieuse."
Comme tous les fonctionnaires religieux de n'importe quelle sainte Secte mondialisée, les rabbins sont les avocats zélés du droit divin. Ils réussissent à faire endosser aux escouades tsahaliennes le rôle des "Méchants" qui, pour sauver leur âme, "expulsent les Gentils".
"Depuis le tout début des raids aériens, les quantités de feu ont été impressionnantes, et c’est essentiellement ce qui a poussé les gens du Hamas à se cacher dans les abris les plus souterrains et les a empêchés de se montrer jusque environ deux semaines après les combats. En général, la manière dont ça fonctionne pour nous, juste pour que vous compreniez un peu les différences, c’est que j’arrivais la nuit à l’escadrille, effectuais un raid sur Gaza et puis je rentrais chez moi dormir à Tel Aviv, au chaud dans mon lit. Je ne suis pas coincé dans un lit dans une maison palestinienne, la vie est un peu meilleure.
Avec mon escadrille, je ne vois pas un terroriste qui lance une Qassam, puis décide de décoller et de l’avoir. Il y a tout un système pour nous soutenir, qui nous sert d’yeux et d’oreilles, et des renseignements pour chaque avion qui décolle et qui créent de plus en plus de cibles en temps réel, chacune avec un niveau de légitimité plus ou moins grand. En tout cas, j’essaie de croire que ces cibles sont déterminées selon le dégré de légitimité le plus haut possible.
Les pilotes lâchaient des tracts sur Gaza, tiraient parfois un missile depuis un hélicoptère sur le coin d’une maison, juste pour secouer un peu la maison et faire fuir tout le monde. Ces techinques ont marché. Les familles sont sorties, et vraiment, quand les soldats sont entrés dans les maisons, elles étaient assez vides, au moins de civils innocents. De ce point de vue, ça a marché."
Doit-on le souligner, ce degré d'humanisme honore au plus haut point les escadrons de la mort tsahaliens. Prévenir les familles que dans 30 secondes leur maison va être soufflée par un missile, c'est pratiquement de la candeur !
« J'arrive à l’escadrille, on me donne une cible, une description et des coordonnées. En gros, je m’assure simplement que ça ne se trouve pas à l’intérieur de nos lignes. Je regarde la photo de la maison que je suis censé attaquer, je vois qu’elle correspond à la réalité, je décolle, je pousse sur le bouton et la bombe atterrit toute seule dans un rayon d’un mètre de la cible. »
"Par exemple, j’ai été été terriblement surpris par l’enthousiasme qui a accompagné la tuerie des policiers de la circulation de Gaza, le premier jour de l’opération. Ils ont tué 180 flics. En tant que pilote, j’aurais remis ça en question. »
Allons, fier chasseur-pilote, ne joue pas les droits-de-l'hommistes, à savoir si les cibles détruites avaient atteint la taille et l'âge réglementaires. Rassure-toi soldat, du haut des Cieux, toi tu as dû en dégommer bien plus que 180, de ces cibles mouvantes peu émouvantes.
Soldat Gideon : « Il y a deux aspects à ça. Sur le plan tactique, tu les appelles des "policiers". Dans tous les cas, ils sont armés et appartiennent au Hamas ... En des temps meilleurs, ils prennent des gens du Fatah, les jettent des toits et voient ce qui se passe. Concernant ce qu’on pense, tu passes du temps avec ton escadrille et il y a quantité de débats sur l’importance du combat et des valeurs qui lui sont attachées, sur ce que nous faisons, il y a de quoi parler. Mais à partir du moment où tu démarres le moteur jusqu’à ce que tu l’éteignes, toutes tes pensées, toute ta concentration et ton attention sont sur la mission que tu dois effectuer. Si tu as un doute injustifié, tu es susceptible de causer une bavure encore plus grande et détruire une école avec 40 enfants. Si le bâtiment touché n’est pas celui que j’étais censé toucher, mais une maison avec des gars à nous à l’intérieur, le prix de l’erreur est très très grand. »
Voilà qui est parlé. C'est une profession de foi militaire que le Sous-Lieutenant Karpov comprend mieux, non pas en tant que membre de l'ARM (Armée Rouge Mondiale), mais en terme d'efficacité du discours et de la tactique.
"Avec les armes que j’utilisais, ma capacité de prendre une décision en contradiction avec ce qu’on m’a dit était proche de zéro. Je lâche la bombe d’une distance où je peux voir toute la bande de Gaza. Je vois aussi Haïfa, je vois aussi le Sinaï, mais c’est plus ou moins la même chose. Ca fait vraiment très loin."
"Plus loin des yeux plus près de Dieu"
Soldat Aviv : « Un jour, j’ai reçu un ordre. Tout l’équipement de la maison, tous les meubles : nettoyer toute la maison. Nous avons tout jeté, tout, par les fenêtres de façon à faire de la place. Tout le contenu de la maison a volé par les fenêtres. »
Au moins, si la famille expulsée (ou effacée) revient, ils ne pourront pas prétendre que vous n'avez pas fait le ménage !
"Vous décrivez une armée aux normes éthiques très basses... (...) je suppose que, chez les réservistes, le niveau de retenue et de contrôle se soi seraient plus haut, mais je pense que, globalement, vous décrivez et reflétez le genre de situation dans laquelle nous nous sommes trouvés. Après la guerre de 1967, quand les gens sont revenus du combat, ils se sont réunis en cercles et ont décrit ce par quoi ils étaient passés. Pendant des années, ceux qui ont fait ça ont été décrits sous l’expression "On tire et on pleure"."
Qu'est-ce que vous avez dû chialer malheureux !
"En 1983, quand nous sommes revenus de la guerre du Liban, on a dit les mêmes choses sur nous. Nous devons réfléchir à ce qui nous est arrivé. Nous devons nous colleter avec ça, pour établir des normes nouvelles, ou différentes. Il est très possible que le Hamas ou l’armée syrienne auraient eu un comportement différent du mien. Mais le point essentiel est que nous ne sommes ni le Hamas, ni l’armée syrienne ni égyptienne. Si des religieux nous oignent d’huile et nous collent des livres sacrés entre les mains, et si les soldats de ces unités ne sont pas représentatifs de tout le spectre du peuple juif, mais seulement de certains secteurs de la population, à quoi devons-nous nous attendre ? A qui faisons-nous des reproches ?"
Pas de fausse modestie, soldat. Tout au long de l'histoire de l'Etat d'Israël vous vous êtes montrés bien plus efficients que l'ennemi syrien ou égyptien. Pourquoi le nier par une sorte d'auto-flagellation aussi inutile qu'affligeante ?
"L’armée israélienne est fort inventive quand il s’agit de nommer ses opérations. Les références sont le plus souvent bibliques. En tant que « traducteur engagé », tant que ce nom n’apporte aucune information, je me refuse dorénavant à suivre cette manie de mêler les références bibliques à des opérations militaires. Pour info, l’expression « Plomb durci » est tirée d’un poème de Bialik consacré à la fête de Hanouka, censé être chanté par de jeunes enfants (car l’opération a été déclenchée au moment de Hanouka)".
Ah, soldat Aviv, où va l'âme des poètes longtemps, longtemps après qu'ils aient disparu, comme chantait le grand Charles Trenet. A quand un récital des "Petits Chanteurs à la Croix de Fer" ?