LE GRAND MATCH
PASOLINI ONFRAY
(né en 1922) (disparu en 2007 ;
auto-dissous dans la campagne
présidentielle)
L'ARBITRE
Piotr Marat KARPOV
(Sous-Lieutenant de l'A.R.M. - Armée Rouge Mondiale)
VENEZ NOMBREUX !
Et c'est parti. Dans le coin gauche, artiste, poète, écrivain, acteur, cinéaste :
Pier Paolo PASOLIIIIINI !
Dans le coin droit, prof de philo, scribouillard et "penseur" de gauche :
Onfray
L'arbitre Karpov laisse à celui-là le soin d'engager les hostilités. Le thème du match est :
l'hédonisme
L'ARBITRE : - Boxe !
ONFRAY : - Ca ne pouvait mieux tomber. Je défends le "principe hédoniste", selon lequel le corps humain a droit à tout ce qui permet le maintien de sa santé, voire le développement ou le recouvrement de celle-ci.
L'ARBITRE : - Break ! "...le corps humain a droit...", ça ne veut rien dire. Un point de pénalité ! Boxe !
PASOLINI : - Aucun centralisme fasciste n'est parvenu à faire ce qu'a fait la société démocratique tournée vers l'hédonisme de consommation. On peut affirmer que la "tolérance" de l'idéologie hédoniste de consommation entretenue par la classe dominante est la pire des répressions de toute l'histoire humaine. Grâce à la révolution médiatique, le modèle érigé par la nouvelle économie - "homo consommator - s'est imposé à toute la société, sous la forme d'un hédonisme néo-laïque aveugle et totalitaire.
Hédonisme de masse, phénomène culturel "unificateur" qui a pourtant ses travers qui ne conviennent guère à l'Eglise : il n'y a en effet rien de religieux dans le modèle du jeune homme ou femme imposé par les médias. Ce sont des "types" sociétaux qui ne donnent de valeur à la vie qu'à travers les biens de consommation.
L'ARBITRE : - Bien, Pier Paolo. Et toi qu'est-ce t'as à dire ?
ONFRAY : - Je voudrais parler par la bouche de Nietzsche. Et défendre un dionysisme politique agissant selon l'impératif catégorique voulant la transvaluation, la rév...
L'ARBITRE : - Break ! Jargon, charabia : un point de pénalité ! Boxe !
ONFRAY : - Mais enfin ? L'objectif du dionysisme politique, c'est la réalisation de l'individu hédoniste, réconcilié avec lui-même et qui n'est pas tenu, contraint et forcé, condamné et damné, à perdre sa vie pour seulement la gagner, en ass...
L'ARBITRE : - Break ! "...perdre sa vie pour la gagner...", c'est pas de toi, ça.
PASOLINI : - L'idéologie hédoniste, d'où vient-elle ? De 1968, l'agitation étudiante, les luttes sociales. Les masses découvraient une nouveauté historique objective : la consommation. De cette nouveauté, surgit la notion de bien-être et l'idéologie hédoniste diffusée par la classe dominante. Celle-ci commenca d'institutionnaliser la consommation, parce que cela soutenait la croissance économique.
L'ARBITRE : - C'est, en effet, tout-à-fait convaincant, Pier Paolo. L'autre, il va nous sortir quoi, encore ?
ONFRAY : - D'un côté Nietzsche et la possibilité d'une politique dionysiaque, de l'autre Kant et les certitudes d'une administration apollinienne.
L'ARBITRE : - Y r'met ça ! Break ! Un point de péno ! Boxe !
PASOLINI : - L'administration n'a rien d'"apollinien". Le pouvoir administratif et politique a, au contraire, éduqué la population à l'"hédonisme". Depuis 68, les gens ne sont plus du tout disposés à abandonner la quantité variable de "confort" et de "bien-être" (même misérable) qu'ils ont en quelque sorte gagnée.
Le nouveau fascisme démocratique promet "confort et bien-être". Je trouve ces 2 termes contradictoires.
L'ARBITRE : - Ah ? Ca mérite réflexion. Et il en pense quoi, "Nietzsche" ?
ONFRAY : - Je continue à affirmer haut et fort que...
L'ARBITRE : - Hého ! Un ton plus bas !
ONFRAY : - pardon..., ...que loger les sans-abri, donner du travail aux damnés, rendre plus viable la condition des exploités, humaniser l'existence sous toutes ses formes, sont autant d'obligations politiques de gauche qui procèdent de principes éthiques hédonistes.
L'ARBITRE : - Ouais..., alors pour résumer ta pensée, tout ce qui est cool sympa pour les pauvres, c'est "hédoniste" et c'est "de gauche". T'es sûr que tu te fous pas du monde, là?
ONFRAY : - Pas du tout. J'associe la droite à la promotion, en politique, de l'idéal ascétique et de ce qu'il suppose de souffrances et d'expiations nécessaires pour le bon fonctionnement de l'ordre social. En revanche, j'associe l'hédonisme à la gauche.
L'ARBITRE : - Pier Paolo, vas-y, toi, passque l'arbitre, y l'épuise...
PASOLINI : - En réalité, c'est la classe dominante qui très tôt - à l'école - dresse les enfants à consommer, car la société de consommation a besoin de la famille et les enfants en sont le coeur.
L'ARBITRE : Merci Pier Paolo. Mais l'arbitre suppose que le cureton de gauche n'est pas d'accord.
ONFRAY : - Mai 68 a rendu possible, par les fractures qu'il a ouvertes, ce que j'appelle l'individu souverain et le règne de l'hédonisme, en n'oubliant pas la leçon de Nietzsche pour qui tout plaisir veut éternité.
PASOLINI : - Mon respectable interlocuteur s'enferme lui-même dans une contradiction : un individu quel qu'il soit, "souverain" ou pas, n'est pas le consommateur que souhaite le producteur de marchandises ; il peut être un consommateur irrégulier, imprévisible, libre de ses choix, un consommateur "souverain" (pour reprendre la terminologie de mon aimable contradicteur) et donc capable de refuser cet hédonisme qui est la seule religion.
En se faisant "individu souverain hédoniste", mon contradicteur se replace délibérément dans le système qu'il prétend rejeter.
L'ARBITRE : - Toc toc badaboum ! T'as pas senti comme un choc derrière la nuque, l'"hédoniste" ?
ONFRAY : - Pas du tout, je vais très bien ! Dans l'idéal hédoniste, le registre agit par capillarité, irriguant l'ensemble et trace dans la totalité d'un groupe les brillances et les scintillements propres aux relations jubilatoires.
L'ARBITRE : - Break ! 2 points de pénalité ! T'as quêq' chose à ajouter ?
ONFRAY : - Là où le corps politique exige l'abdication de la souveraineté individuelle, le libertin cél...
L'ARBITRE : - "libertin", comme toi ? T'as pas à proprement parler un profil propice au "libertinage" mais bon...
ONFRAY : - ...le libertin célèbre une politique du corps ; là où triomphent sous tous leurs modes les variations sur le thème du contrat social, il oppose un contrat hédoniste, révocable à partir du seul désir de l'un des 2.
L'ARBITRE : - Quelle bonne idée ! Ca va faire des "contrats" entre 2 gugusses dans ton genre, d'une durée variant entre 10 et 30 secondes. Il n'y a pas à dire : t'as des dons d'organisateur.
PASOLINI : - L'idéologie défendue par mon respectable contradicteur est typique des classes moyennes. Ces classes ont effectivement muté à partir de 1968 : leurs valeurs positives sont celles de l'idéologie hédoniste de la consommation et de la tolérance moderne de type américain qui en découle. C'est la classe dominante - soit la Bourgeoisie - qui, contrairement à la vision "ascétique" qu'en a mon contradicteur, a développé la production de superflu...
L'ARBITRE : - Ce que Marx nommait le secteur II b) de la production des marchandises?
PASOLINI : - Tout-à-fait. Ainsi, le pouvoir a-t-il répandu la frénésie de consommation, de la mode et de l'information (et avant tout, de manière imposante, de la télévision) et a créé ces valeurs, qui rejettent cyniquement les valeurs dîtes "traditionnelles".
L'ARBITRE : - Remarquable intervention, Pier Paolo. L'arbitre ignore quel petit air le pipeau hédoniste va bien pouvoir jouer maintenant.
ONFRAY : - Mais je n'ai pas dit mon dernier mot ! Il existe de nouvelles possibilités d'existence fournissant des modèles, et ce grace au contrat hédoniste qui...
L'ARBITRE : - Encor avec ce machin ! Mais y'a que dans ta petite têt' que ça marche (et encore)...
ONFRAY : - ...qui donne des inter-subjectivités véritablement et radicalement hédonistes : cynisme et dandysme, libertinage et ciment libertaire, chaque fois ces forces contribuent à désamorcer les logiques de pouvoir en promouvant une microsociété élective hédoniste.
L'ARBITRE : - "Une microsociété élective hédoniste", c'est c'la, ouiii...
ONFRAY : - Laissez-moi parler ! La volonté hédoniste en politique suppose le désir exacerbé d'un désengagement de soi du registre agonique.
L'ARBITRE : - Break ! 3 points de pénalité !! Tu vas faire fuir les bloggueurs avec ta macédoine ! Boxe !
PASOLINI : - Mon bienveillant contradicteur glorifie le visage vide du nouveau Pouvoir, en lui attribuant des "vertus" de tolérance, de bien-être individuel. Tout cela relève de l'idéologie hédoniste, une idéologie qui se suffit pleinement à elle-même. Mais qui a aussi des traits féroces et essentiellement répressifs : car sa tolérance est fausse et, en réalité, jamais aucun homme n'a dû être aussi normal et conformiste que le consommateur. Ce qui nous éloigne - pardonnez-moi, cher contradicteur - de la rébellion affichée et théorisée comme "hédoniste".
L'hédonisme cache une décision de tout préordonner avec une cruauté que l'histoire n'a jamais connue. Ce nouveau Pouvoir est le résultat d'une "mutation" de la classe dominante - mutation entamée en 1968 - et est donc en réalité une forme de fascisme "total". Ce fascisme a tout nivelé, notamment au niveau culturel, et il a notamment imposé l'hédonisme et la "joie de vivre", la recherche obligatoire du "bonheur".
L'ARBITRE : - Intervention claire, limpide de Pier Paolo. Mais comment l'autre petite têt' pourrait continuer malgré cela son délire mysticisant ? De toute manière, le combat se termine :
GONG !
Et voici la décision : à l'unanimité du jury (composé de : Sous-Lieutenant Karpov), par 116 points contre 0, est déclaré vainqueur...
Pier Paolo PASOLIIIIINI !
Pier Paolo, après votre éclatante victoire avez-vous une déclaration à faire ?
PASOLINI : - Je voudrais dire à mon contradicteur que je n'ai absolument aucun grief contre lui.
Ma "vision" de la réalité est radicale quand la sienne ne l'est pas. Attention, là encore, pas de critique ou de jugement personnel de ma part.
Je vois un nivellement de toute la jeunesse qui fait que, d'après son corps, son comportement et son idéologie inconsciente et réelle (l'hédonisme de la consommation), un jeune "de droite" ne peut plus être distingué d'un jeune "de gauche".
Certes les hommes ont toujours été conformistes (tous égaux l'un à l'autre), et il y a toujours eu des élites, représentées par exemple aujourd'hui par mon aimable contradicteur. Mais il n'y a pas si longtemps, les hommes étaient égaux et conformistes dans leurs classes sociales respectives.
Aujourd'hui, en revanche, les hommes sont conformistes et tous égaux l'un à l'autre selon un code interclassiste (étudiant = ouvrier, ouvrier du Nord = ouvrier du Sud, etc.) et tout cela dans une volonté anxieuse de s'uniformiser.
Je m'arrête ici, ne voulant pas monopoliser la parole.
L'ARBITRE : - Pier Paolo, merci. Vous personnalisez avec humilité ce qu'on appelle un être humain.
Pas comme l'autre bouffi d'orgueil.