28 janvier 2008
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WORLD TRADE EMPIRE
(la seule réforme possible : balayer l'impérialisme)
L'histoire de la lutte des classes ne permet pas que l'on fasse correspondre mécaniquement crises économiques et crises politiques. La Bourgeoisie, au fil de ses pérégrinations, apprend à conserver son pouvoir d'une manière de plus en plus efficace : avec l'assentiment apparent des autres classes de la société. Trotski déclare à la tribune de la IIIème Internationale :
"D'une part, la Bourgeoisie est prise à la gorge par ses propres antagonismes internes ; sa structure productive est bouleversée ; les rapports internationaux entre Etats sont perturbés ; et d'autre part, elle est au sommet de ses capacités, non seulement de défense, mais d'attaque contre la classe ennemie. Elle sait ou elle sent qu'elle est condamnée, mais elle refuse d'accepter sans réagir le verdict. Son équilibre est tour à tour détruit et à nouveau reconstruit grâce à un gaspillage monstrueux des forces productives ; mais cette dynamique démontre une "grande force de résistance dont la meilleure preuve est que sa domination ne s'est pas encore écroulée"."
VIII. LE PARASITISME ET LA PUTREFACTION DU CAPITALISME
"Il nous reste encore à examiner un autre aspect essentiel de l'impérialisme ... Nous voulons parler du parasitisme propre à l'impérialisme.
Nous l'avons vu, la principale base économique de l'impérialisme est le monopole. Ce monopole est capitaliste, c'est-à-dire né du capitalisme ; et, dans les conditions générales du capitalisme, de la production marchande, de la concurrence, il est en contradiction permanente et sans issue avec ces conditions générales. Néanmoins, comme tout monopole, il engendre inéluctablement une tendance à la stagnation et à la putréfaction. Dans la mesure où l'on établit, fût-ce momentanément, des prix de monopole, cela fait disparaître jusqu'à un certain point les stimulants du progrès technique et, par suite, de tout autre progrès; et il devient alors possible, sur le plan économique, de freiner artificiellement le progrès technique. (...) Certes, un monopole, en régime capitaliste, ne peut jamais supprimer complètement et pour très longtemps la concurrence sur le marché mondial (c'est là, entre autres choses, une des raisons qui fait apparaître l'absurdité de la théorie de l'ultra-impérialisme). Il est évident que la possibilité de réduire les frais de production et d'augmenter les bénéfices en introduisant des améliorations techniques pousse aux transformations. Mais la tendance à la stagnation et à la putréfaction, propre au monopole, continue à agir de son côté et, dans certaines branches d'industrie, dans certains pays, il lui arrive de prendre pour un temps le dessus."
"Poursuivons. L'impérialisme est une immense accumulation de capital-argent dans un petit nombre de pays ... D'où le développement extraordinaire de la classe ou, plus exactement, de la couche des rentiers, c'est-à-dire des gens qui vivent de la "tonte des coupons", qui sont tout à fait à l'écart de la participation à une entreprise quelconque et dont la profession est l'oisiveté. L'exportation des capitaux, une des bases économiques essentielles de l'impérialisme, accroît encore l'isolement complet de la couche des rentiers par rapport à la production, et donne un cachet de parasitisme à l'ensemble du pays vivant de l'exploitation du travail de quelques pays et colonies d'outre-mer."
"Le revenu des rentiers est cinq fois plus élevé que celui qui provient du commerce extérieur, et cela dans le pays le plus "commerçant" du monde ! Telle est l'essence de l'impérialisme et du parasitisme impérialiste."
"Aussi la notion d'"Etat-rentier" (Rentnerstaat) ou Etat-usurier devient-elle d'un emploi courant dans la littérature économique traitant de l'impérialisme. L'univers est divisé en une poignée d'Etats-usuriers et une immense majorité d'Etats-débiteurs."
"L'Etat-rentier est un Etat du capitalisme parasitaire, pourrissant ; et ce fait ne peut manquer d'influer sur les conditions sociales et politiques du pays en général..."
"...à l'intérieur du mouvement ouvrier ... les opportunistes momentanément vainqueurs dans la plupart des pays, "jouent" avec système et continuité, précisément dans ce sens. L'impérialisme, qui signifie le partage du monde et une exploitation ... qui procure des profits de monopole élevés à une poignée de pays très riches, crée la possibilité économique de corrompre les couches supérieures du prolétariat ; par là même il alimente l'opportunisme, lui donne corps et le consolide."
"Parmi les caractéristiques de l'impérialisme qui se rattachent au groupe de phénomènes dont nous parlons, il faut mentionner la diminution de l'émigration en provenance des pays impérialistes et l'accroissement de l'immigration, vers ces pays, d'ouvriers venus des pays plus arriérés, où les salaires sont plus bas. (...) L'impérialisme tend à créer, également parmi les ouvriers, des catégories privilégiées et à les détacher de la grande masse du prolétariat.
A noter qu'en Angleterre, la tendance de l'impérialisme à diviser les ouvriers, à renforcer parmi eux l'opportunisme, à provoquer la décomposition momentanée du mouvement ouvrier, est apparue bien avant la fin du XIXème siècle et le début du XXème. Car deux traits distinctifs essentiels de l'impérialisme, la possession de vastes colonies et le monopole du marché mondial, s'y sont manifestés dès la seconde moitié du XIXème siècle. Marx et Engels ont méthodiquement, pendant des dizaines d'années, observé de près cette liaison de l'opportunisme dans le mouvement ouvrier avec les particularités impérialistes du capitalisme anglais. Ainsi, Engels écrivait à Marx le 7 octobre 1858 : "En réalité, le prolétariat anglais s'embourgeoise de plus en plus, et il semble bien que cette nation, bourgeoise entre toutes, veuille en arriver à avoir, à côté de sa bourgeoisie, une aristocratie bourgeoise et un prolétariat bourgeois. Evidemment, de la part d'une nation qui exploite l'univers entier c'est jusqu'à un certain point, logique." Près d'un quart de siècle plus tard, dans une lettre du 11 août 1881, il parle des "pires trade-unions anglaises qui se laissent diriger par des hommes que la bourgeoisie a achetés ou que, tout au moins, elle entretient". Dans une lettre à Kautsky (12 septembre 1882), Engels écrivait : "Vous me demandez ce que pensent les ouvriers anglais de la politique coloniale. La même chose que ce qu'ils pensent de la politique en général. Ici, point de parti ouvrier, il n'y a que des radicaux conservateurs et libéraux; quant aux ouvriers, ils jouissent en toute tranquillité avec eux du monopole colonial de l'Angleterre et de son monopole sur le marché mondial." "
"L'impérialisme du début du XXème siècle a achevé le partage du globe entre une poignée d'Etats, dont chacun exploite aujourd'hui (en ce sens qu'il en retire du surprofit) une partie du "monde entier" à peine moindre que celle qu'exploitait l'Angleterre en 1858; dont chacun, grâce aux trusts, aux cartels, au capital financier, à ses rapports de créditeur à débiteur, occupe une situation de monopole sur le marché mondial ; dont chacun jouit, dans une certaine mesure, d'un monopole colonial...
Ce qui distingue la situation actuelle, c'est l'existence de conditions économiques et politiques qui ne pouvaient manquer de rendre l'opportunisme encore plus incompatible avec les intérêts généraux et vitaux du mouvement ouvrier : d'embryon, l'impérialisme est devenu le système prédominant ; les monopoles capitalistes ont pris la première place dans l'économie et la politique ; le partage du monde a été mené à son terme ; (...) dans toute une série de pays, [l'opportunisme] a atteint sa pleine maturité, il l'a dépassée et s'est décomposé en fusionnant complètement, sous la forme du social-chauvinisme, avec la politique bourgeoise." [ses héritiers français sont la gauche, de la LCR au PS en passant par le PCF]
[V. Lenine, 1916 : L'impérialisme, stade suprême du capitalisme]