Ainsi toute crise économique n'accouche pas mécaniquement d'une révolution. Le capital et le travail, représentés sur la scène politique par classe dirigeante et classe salariée, sont loin de n'être que des catégories virtuelles sur les diagrammes des sociologues, mais elles constituent également des forces historiques agissantes.
A chaque fois qu'éclate une crise, toujours plus profonde et générale, la condamnation du système proclamée par Marx/Engels il y a un un siècle et demi est validée scientifiquement. Cependant la crise ne suffit pas à abattre le Marché, les marchands, le profit, les profiteurs, loin s'en faut.
"Même si la bourgeoisie est en antithèse complète avec les exigences du développement historique, elle n'en reste pas moins la classe la plus forte. Bien plus, on peut dire que du point de vue politique, la bourgeoisie atteint le sommet de sa puissance, le sommet de la concentration de ses forces et de ses moyens politiques et militaires, de tromperie, de violence et de provocation, c'est-à-dire l'apogée de sa stratégie de classe au moment où elle est le plus directement menacée d'un écroulement de sa domination. La guerre et ses horribles conséquences ... ont révélé à la bourgeoisie le danger d'une ruine imminente. C'est ce qui a aiguisé au maximum son instinct de conservation.
...En outre, nous ne devons pas oublier que la bourgeoisie (c'est le grand privilège de la classe dominante) ne s'est trouvée en danger de mort qu'après avoir acquis une énorme expérience politique. La bourgeoisie a créé et détruit toutes sortes de formes de gouvernement : elle s'est développée sous l'absolutisme, sous la monarchie constitutionnelle, sous la monarchie parlementaire, sous la république démocratique, sous la dictature bonapartiste, dans l'Etat allié à l'Eglise catholique, dans l'Etat qui persécutait l'Eglise. Cette expérience riche et multiforme a pénétré dans la chair et le sang de la caste dirigeante de la bourgeoisie et celle-ci la mobilise aujourd'hui pour se maintenir à tout prix au pouvoir. Et elle agit avec d'autant plus d'ingéniosité, de raffinement, de manque de scrupules que ses chefs reconnaissent plus clairement le danger qui la menace" (Lev Trotski).
Le fondateur de l'Armée Rouge souligne ici l'aspect plastique de la domination bourgeoise, dosage plus ou moins savant de vénalité et de violence, de faux réformisme et de vraie conservation. Son mode de production a beau être devenu totalement parasitaire, la classe dirigeante, elle, tient bon les rênes et ne les lâchera pas de plein gré, même si le monde doit s'écrouler autour d'elle, sur elle et sur l'humanité.
La crise économique replace la dialectique marxienne dans le champ de l'actualité. L'économie et la finance, l'Etat et la démocratie bourgeoise, la justice de classe et la diplomatie internationales, le Marché mondial et l'idéologie dominante s'enchevêtrent de manière complexe, inter-active. Les effets deviennent des causes qui, à leur tour, suscitent d'autres effets opposés. Le capitalisme sème l'anarchie au coeur de la société et la société réagit par plus de règles, d'ordre, de discipline au service du système. Si un mouvement social ne surgit pas pour frapper au flanc de la bête, celle-ci reprenant ses forces, entame une nouvelle prédation sur une échelle toujours plus généralisée.
"Alors, se lamentent les révolutionnaires de descente-de-lit en consultant leur journal intime, c'est pour quand le Grand soir ?" Marx, qui n'est pas le pire des pédagogues en politique leur répond :
"...des rapports de production nouveaux et supérieurs ne peuvent remplacer [la formation sociale antérieure] avant que les conditions matérielles de leur existence n'aient mûri au sein de la vieille société".
Donc chez le Vieux, pas de date fixe, pas de "Grand soir" stalinien, pas de correspondance mécaniste entre l'essor du capitalisme et la libération de la classe exploitée. Il a en outre pris la peine de préciser, par rapport à ceux qui pensaient que le nombre fait la force :
"Les nombres ne pèsent dans la balance que quand ils sont unis par l'organisation et guidés par la connaissance".
Voilà qui ramène à la nécessité pour les salariés de s'unir, nécessité fortement étouffée par l'impitoyable concurrence que le système les force à se livrer entre eux.