DES SYNDICATS POUR SOUTENIR LA SOCIETE BOURGEOISE
Aujourd'hui qu'il est éminemment difficile aux salariés de déclencher ne serait-ce qu'une journée de grève, il apparaît que leurs actions sporadiques relèvent essentiellement d'une lutte économique immédiate, au sens qu'elle cherche à améliorer des conditions de travail infernales sans toucher quoi que ce soit à l'organisation politique de l'exploitation humaine.
L'époque est à la dissimulation de la lutte des classes. La question de la révolution, refoulée dans l'inconscient collectif de la classe salariée, est entrée en sommeil jusqu'à nouvel ordre. L'absence d'une organisation politique des travailleurs - un Parti - pèse lourd dans la balance. Car si la révolution n'est pas une question de formes d'organisation, il n'empêche que toutes les voies qu'empruntera la lutte organisée du prolétariat demeureront assujetties à la nécessité de se doter d'une organisation de combat et d'un programme politique. Celui-ci existe d'ailleurs depuis qu'existe le prolétariat moderne : le programme de la société communiste.
En septembre 1843, Marx écrit à Ruge:
« Rien donc ne nous empêche de lier notre critique à la critique de la politique, à la participation à la politique, donc aux luttes réelles, et de l'identifier à elles. Alors nous n'irons pas au monde en doctrinaires pour lui apporter un principe nouveau : "Voici la vérité. Tombez à genoux !" Nous développerons pour le monde, à partir de ses propres principes, des principes nouveaux. Nous ne lui disons pas : "Cesse tes luttes ! Ce sont des niaiseries! Nous allons te proclamer les vrais mots d'ordre de la bataille". Nous lui montrerons seulement pourquoi il lutte, car il doit en prendre conscience, même s'il ne le veut pas... On verra alors que le monde a depuis longtemps possédé le rêve d'une chose dont il suffit maintenant de prendre conscience pour la posséder réellement. On verra qu'il ne s'agît pas de tirer un grand trait entre le passé et l'avenir, mais bien de réaliser les idées du passé. On verra enfin que l'humanité n'entreprend pas un nouveau travail, mais accomplit consciemment l'ancien ».
La classe au sens politique du terme n'existe que dans la mesure où existe son fer de lance politique : le Parti. C'est une condition primordiale, se rattachant également à l'existence d'organisations de défense économique des salariés. Ce double aspect a toujours fait l'objet d'affrontements théoriques. Certains prétendaient séparer l'organisation politique des organisations économiques. Ils voyaient le Parti comme un temple sectaire perché "sur la montagne".
Il y a aussi l'anarchisme, pour lequel l'activité politique est "sale" par essence. L'État, le Parti ou toute autre forme d'organisation sont frappés du sceau de l'infâmie. Le "théoricien" anarchisant ou libertaire (dont le prof de philo M. Onfray constitue un spécimen caractéristique) glorifie l'"Unique", l'individu auto-suffisant bouffi de suffisance, bref le petit-bourgeois narcissique qui, par ennui autant que par affectation congénitale, s'essaye à "penser" politiquement.
Quant au syndicalisme révolutionnaire, il ne jure que par la spontanéité, l'immédiat et "l'imagination ouvrière". Même si, dans leur jargon, les anarcho-syndicalistes utilisent parfois la grammaire révolutionnaire, ils ne s'en tiennent que plus éloignés de la théorie communiste.
Ce qui, sous les traits de l'opportunisme syndical, domine aujourd'hui le monde salarié, c'est un réformisme impuissant. Cet opportunisme syndical est le déguisement favori de la contre-révolution : il se pare volontiers de radicalisme et de combativité, se présentant aux médias avec un certificat de vigilance envers les agissements du patronat; il réagit constamment et de mille manières à la "vie publique", participe du parlementarisme le plus creux comme des institutions étatiques-démocratiques les plus improbables, commissions, sous-commissions, "délégations", etc., bref il ronronne comme un bon républicain ou un sénateur à vie. Ces derniers temps, on a pu constater que les syndicats ne dédaignaient pas non plus un petit "graissage de patte" par-ci par-là, grâce à la générosité intéressée de leurs soi-disant adversaires (en réalité leurs plus fidèles complices). Par cette inter-dépendance idéologico-financière, les bons vieux syndicats entraînent la partie combative de la classe salariée vers la défense de la société bourgeoise, ils lui instillent cette mentalité de classe moyenne, héritée d'une "aristocratie ouvrière" (selon la fameuse formule de Lénine) aujourd'hui mise à mal par la crise endémique du capitalisme mondial.
Le réformisme syndicaliste se définit par l'affirmation fausse que la classe salariée peut s'émanciper progressivement, en participant à la société de manière "citoyenne", dans des associations économiques, des coopératives ou des clubs de rencontre "citoyens". Pendant que ces alter-capitalistes font mumuse, nantis de la conviction illusoire d'un changement de société "en douceur", la classe capitaliste se contente - excusez du peu - de détenir le pouvoir politique avec son principal représentant : l'Etat.
Il n'existe pas d'organisation "révolutionnaire" en soi, seulement des forces sociales qui peuvent, en fonction des circonstances et du rapport de forces, s'orienter vers le but révolutionnaire par leur action.
Qui détient le pouvoir politique ? La classe capitaliste. Face à cet état de fait, il n'y a que sur le terrain politique que l'intérêt général de la classe salariée peut être proclamé et défendu. Pour se battre sur ce terrain-là, la classe doit se doter d'un Parti, associant tous ceux qui ont dépassé l'intérêt corporatiste ou catégoriel, l'intérêt personnel égoïste. Dans cette organisation, les déserteurs de la classe bourgeoise adhérant au programme communiste seront naturellement les bienvenus.
Le problème fondamental reste celui de la conquête du pouvoir par le prolétariat, soit les travailleurs organisés en parti politique de classe et décidés à réaliser la forme historique du pouvoir révolutionnaire, la dictature du prolétariat. Cette conquête armée est plus importante que la ou les formes d'organisation immédiates qu'elle se donnera.
Pour un révolutionnaire marxiste, la révolution n'est déterminée ni par l'éducation et la culture, mais par les crises économiques internes qui, cycle après cycle, se reproduisent à une échelle toujours plus généralisée.
Pour le moment, le système capitaliste apparaît stable : il s'agit seulement d'obtenir une meilleure rétribution du travail et jusqu'ici ce sont les syndicats qui s'en sont chargés, en tant qu'organisations de paix sociale et de négociations contractuelles. Mais que vienne une période plus instable socialement et ce ronron largement médiatisé sera balayé par la simple lutte des classes renaissante.
Rappel : ce n'est pas au moyen d'une simple grève générale que la classe ouvrière peut remporter une victoire décisive sur la bourgeoisie. Il lui faudra bien en venir à l'insurrection armée. Dès lors, les vicissitudes de la lutte à la vie à la mort contre l'ordre établi l'amèneront à considérer - s'il n'existe pas préalablement - qu'un Parti politique organisé lui est indispensable, car les seules unions ouvrières immédiates et spontanées, quels que soient leur nombre et leur puissance, ne sauraient venir à bout de l'hydre capitaliste.
Un Parti...indispensable. Mais lequel ? Eh bien, celui qui se fondera sur la théorie communiste, invariante depuis que Marx et Engels l'ont exposée à la lumière du jour.
Voilà quelques positions politiques fondamentales, que la Gauche communiste d'Italie a portées, défendues et transmises tant qu'elle a pu le faire.