Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
28 avril 2008 1 28 /04 /avril /2008 09:46


ANARCHISTES ET BOLCHEVIKS

XI

      En 1869, le mouvement anarchiste naissant en Espagne appuyait le gouvernement, parce que celui-ci avait pris une forme fédérale, démocratique et républicaine. Bakounine envoya un député napolitain, Giuseppe Fanelli, pour le représenter. Ainsi se constitua le noyau initial de la première Internationale à Madrid, composé de 20 personnes.
    

(Giuseppe Fanelli)

    
       Or, Bakounine et ses partisans venaient de créer, à Genève, une organisation, l'Alliance Internationale pour la Démocratie Socialiste. Cette organisation sollicita son entrée à l'A.I.T. (Association Internationale des Travailleurs, c'est-à-dire Ière Internationale Communiste). L'A.I.T. refusa l'admission. Les divergences de fond des statuts et programmes des deux organisations étaient bien réelles et ne tardèrent pas à se manifester.




         Quel est le but de l'A.I.T. ? L'émancipation du prolétariat, c'est-à-dire sa suppression. La Ière Internationale surgit elle-même en raison de deux facteurs historiques importants. Tout d'abord la nécessité pour les ouvriers de se constituer en classe autonome afin de devenir les principaux protagonistes de leur affranchissement. Ensuite la nature internationale du prolétariat, classe qui tend à être soumise aux mêmes conditions d'exploitation sur toute la planète, ce qui la conduit à considérer son avenir d'un point de vue supra-national. Un tel point de vue n'a rien à voir avec l'idée abstraite d'amour universel que défendent les chétiens ou parfois...les anarchistes, mais il est lié à l'intérêt des ouvriers.
      La liaison systématique entre les classes laborieuses des différents pays est nécessaire pour mieux résister à l'oppression "internationale" du capital. Tels sont les besoins vitaux ressentis par les ouvriers qui font écho à l'appel retentissant de Karl Marx :

     "Prolétaires de tous les pays unissez-vous !".

     Cet appel universellement connu, lancé depuis Londres, centre d'un pays capitaliste développé et puissant, toucha néanmoins de plein fouet le peuple espagnol bien que la réalité des deux pays proposât des données sensiblement différentes.
     




      En 1864, quand apparaît l'Internationale à Londres, le prolétariat espagnol demeure encore dans un état semi-artisanal, désuni, et il se montre plutôt sensible aux idées fédéralistes. Les premiers pas de la Révolution bourgeoise sont hésitants, tandis que la classe ouvrière n'est pas mûre pour un mouvement indépendant. Cependant l'Internationale poursuivait l'élaboration de ses principes, qui s'éloignaient de plus en plus de l'anarchisme.
     En tant qu'organisation de classe, l'A.I.T. considère que "la conquête du pouvoir politique est devenue la tâche principale de la classe ouvrière". Ainsi l'A.I.T. affirme que l'émancipation sociale des travailleurs est inséparable de leur émancipation politique et elle réclame comme mesure de première nécessité l'établissement des libertés politiques. De son côté l'Alliance bakouniste refuse "toute action révolutionnaire qui n'envisage pas immédiatement et directement le triomphe de la cause des travailleurs contre le capital".

     La polémique marxistes-bakounistes étant une question de principes, Bakounine n'hésita pas à déclarer qu'il était prêt à détruire le communisme :

       "Je déteste le communisme parce qu'il est la négation de la liberté et je ne peux rien concevoir d'humain sans liberté. Je ne suis pas communiste parce que le communisme concentre et absorbe toutes les capacités de la société dans l'Etat".

     


         En mars 1869 l'A.I.T. accepta malgré tout la poposition de l'Alliance qui, ne pouvant faire partie de l'Internationale, suggérait que les groupes qu'elle avait suscités en Espagne, Italie, France et Suisse puissent intégrer l'A.I.T. Néanmoins cette dernière posa une condition : la dissolution de l'Alliance, qui fit mine d'accepter. En réalité l'Alliance continua à fonctionner secrètement, bien que la majorité de ses affiliés espagnols fussent ignorants de la situation, pensant qu'elle existait encore officiellement en tant que membre de l'Internationale.
       En intégrant avec zèle une organisation, l'A.I.T., dont les principes étaient éloignés des leurs, les membres de l'Alliance avaient fait preuve d'inconséquence. Ainsi la participation anarchiste à la Ière Internationale ne fut pas le fruit d'une réflexion et d'un engagement politiques, mais plutôt le signe d'un manque d'expérience et de compréhension. Le simple fait de comparer les programmes des deux organisations aurait suffi à rendre compte de leur incompatibilité.

     Bien que les problèmes de personne n'en soient jamais absents, la polémique "Marx-Bakounine" fut avant tout une opposition entre deux conceptions de la révolution prolétarienne, entre deux stratégies antithétiques.
     La querelle portait d'une part sur l'organisation présente du mouvement ouvrier et d'autre part sur le pouvoir dans la société révolutionnaire. Compte tenu du fait que le conflit se cristallisa, pour les militants de base, sur la personne de Marx et sur celle de Bakounine, arrêtons-nous ici sur quelques moments du parcours politique des deux leaders.




      















   


     





        


      

       Jusqu'en 1868, Bakounine s'est plus ou moins tenu à l'écart de l'A.I.T., se consacrant à l'organisation d'une société secrète : "La fraternité internationale". Puis il s'est agité au sein d'une "Ligue de la paix et de la liberté", organisation bourgeoise, avant de réaliser la difficulté de préparer la révolution "collectiviste" en compagnie de démocrates bourgeois. A ce moment il écrit à Marx :

      "Je fais maintenant ce que tu as commencé, toi, il y a vingt ans. Depuis les adieux solennels et publics que j'ai adressés aux bourgeois du Congrès de Berne, je ne connais plus d'autre société, d'autre milieu que le monde des travailleurs. Ma patrie maintenant c'est l'Internationale, dont tu es l'un des principaux fondateurs. Tu vois donc, cher ami, que je suis ton disciple et fier de l'être".

        Cependant, malgré cette allégeance, Bakounine n'a pas renoncé au seul modèle d'organisation révolutionnaire qu'il connaisse et reconnaisse : la société secrète, héritée des premières luttes révolutionnaires du XIXème siècle. L'A.I.T., forme organisationnelle d'un vaste mouvement de classe qui prétend se servir de la légalité pour la propagation de ses idées, ne peut le satisfaire.


[Tina LOBA]




 
Partager cet article
Repost0

commentaires