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31 mai 2008 6 31 /05 /mai /2008 10:12

ANARCHISTES ET BOLCHEVIKS

XVI

     Pour les anarchistes, il n'y a pas d'acquis politiques ; il faut donner libre cours à la force universelle de la nature, pour détruire toutes les entraves jetées par ce que l'anarcho-syndicaliste Anselmo Lorenzo nomme "le génie maléfique usurpateur" incarné dans les institutions.

 

    "Nous ne devons pas perdre de vue que s'il subsiste encore parmi nous misère et ignorance, cela est dû aux institutions et aux vieilles idées, non pas aux hommes" (Résolution du Congrès de Cordoue).

     Cette approche critique et morale du pouvoir émane d'un apolitisme qui croit au spontanéisme des masses et au spontanéisme tactique et qui refuse le parlementarisme, l'alliance avec d'autres partis politiques et  la participation aux élections.

      "Que personne ne craigne le fait que les socialistes se présentent à la Municipalité, au Conseil Général et à l'Assemblée, parce ce que nous, nous n'acceptons rien de cet arbre vermoulu appelé Etat, nous désirons uniquement le couper. Abstention signifie Révolution" (Journal "El Obrero", 1870).

      Les anarchistes partagent ici avec les socialistes la critique de l'Etat bourgeois comme expression d'une duperie politique, servant à justifier l'oppression et l'exploitation capitalistes. Mais les tenants du socialisme scientifique n'ont pas cette foi libertaire dans la spontanéité des classes laborieuses, dans la justesse de toute revendication et dans la tactique empirique des masses en action, sans organisation préalable.
     Quant aux anarchistes, ils dénoncent toute tentative de leadership sur le mouvement ouvrier dont la seule justification, selon eux, est de satisfaire l'ambition des théoriciens et des chefs révolutionnaires. C'est dans cette optique qu'Anselmo Lorenzo a perçu la querelle entre les deux courants. En effet il attribue à Marx un sentiment de supériorité intellectuelle et la volonté d'imposer son autorité politique à l'Internationale. Lorenzo retrouve ce sentiment chez les partisans de Marx, qui se considèrent, selon lui, comme plus intelligents et efficaces que les travailleurs. Face à eux se tient Bakounine, impuissant à créer une force comparable à celle que représente l'A.I.T., uniquement confiant dans sa propre énergie. Ceux qui le suivent s'éloignent en général de l'application pratique du concept de liberté et excellent plutôt à imposer leur point de vue aux autres.





    














      Lorenzo insiste sur ce "Mal universel qui va de pair avec le génie maléfique", "el personalismo". Il va jusqu'à élever sa trouvaille "philosophique" au rang de concept absolu. Lui-même adhère à la vision idéaliste de l'homme en tant qu'abstraction universelle, qui s'oppose à la notion du matérialisme historique. En effet, celui-ci voit l'être humain comme un produit de l'ensemble de tous les rapports sociaux et confronté au choc des phénomènes sociaux d'une société donnée.
      Mais pour Lorenzo, la véritable raison du conflit entre anarchisme et marxisme est dans ce personnalisme qu'il a découvert, à savoir :

       "cette passion qui pour les uns est similaire ou concomitante à l'égoïsme et à la vanité, et qui participe du sentiment très naturel poussant l'individu à revendiquer la propriété de son être et la liberté de sa conscience, de sa volonté et de son activité dans lesquelles ces facultés sont indépendantes du milieu ; et qui pour les autres représente le sectarisme servile, l'obéissance aveugle".

      On trouve ainsi couramment dans les discours anarchistes l'analyse des conflits par la passion et le tempérament humains. Elargie à l'espèce humaine, cela va jusqu'à expliquer la diversité des races et des nations comme base des divergences politiques.
     Anselmo Lorenzo n'accepte pas que Marx, déniant aux idées un caractère absolu, considère qu'elles ne sont que "l'expression générale des conditions réelles d'une lutte des classes existantes, d'un mouvement historique qui s'opère sous nos yeux" (Le Manifeste du Parti communiste) et le résultat de l'évolution de la société. Du point de vue individuel, le marxisme constate que les idées relèvent de l'égoïsme naturel de chacun et que cet égoïsme pousse l'être humain à lutter pour améliorer ses conditions de vie.
     Le mot "altruisme" est absent du discours marxiste tandis qu'on le retrouve fréquemment dans les écrits et discours anarchistes. Ainsi Anselmo Lorenzo parle de "sentiment altruiste" et d'"égoïsme fratricide".
     D'autre part Marx soutient que "à l'immaturité de la production capitaliste, à l'immaturité de la situation des classes, répondit l'immaturité des théories" (F.Engels, Critique de l'anarchisme). Si l'on s'appuie sur cette analyse, cela éclaire singulièrement les errements de la Fédération anarchiste espagnole. Là où Lorenzo constate des inimitiés au sein de celle-ci, il ne voit pas en filigrane le manque de cohérence théorique de l'anarchisme.







[Tina LOBA]



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