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31 janvier 2008 4 31 /01 /janvier /2008 18:27

    
LE MARCHE EST UN ET INDIVISIBLE

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     En 1851, un petit bonhomme dénommé Jules-Isaac Mirès fut condamné à 5 ans de taule, pour "irrégularités de gestion" dans son job de courtier à la Bourse de Paris. L'année suivante, il fut acquitté en appel.
     En 1882, les titres de L'Union Générale, une grosse banque catholique, "dévissèrent". Son PDG, un certain Bontoux, en prit également pour 5 ans et 3000 francs d'amende, et fut également acquitté en appel.
     A partir de ces 2 affaires, Emile Zola conçut son roman sur la Bourse, "L'Argent", qui parut en 1891.
     Dans ce livre, Zola dit :
    
     "...tous deux jouaient le jeu connu, l'un à la hausse, l'autre à la baisse sur une même valeur, celui qui perdait en étant quitte pour partager le bénéfice de l'autre, et disparaître."
     "...déjà sous l'horloge et fonctionnant, montait la clameur de l'offre et de la demande, ce bruit de marée de l'agio... Des passants tournaient la tête, dans le désir et la crainte de ce qui se faisait là, ce mystère des opérations financières où peu de cervelles françaises pénètrent, ces ruines, ces fortunes brusques qu'on ne s'expliquait pas..."
     "...fatalement, allaient tomber là les titres déclassés, les actions des sociétés mises en faillite, sur lesquelles [ils] agiotent encore, des actions de 500 francs qu'ils se disputent à 20 sous, à 10 sous ... comme une marchandise scélérate, qu'ils cèdent avec bénéfice aux banquiers désireux de gonfler leur passif."
     

DANS LA TERRIBLE JUNGLE
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     "...la déroute était fatale, ...le jour du massacre viendrait, ...il y aurait des morts à manger, des titres à ramasser pour rien dans la boue et dans le sang. Et [il] fut traversé d'un pressentiment, à voir...ce charnier des valeurs dépréciées, dans lequel passait tout le sale papier balayé de la Bourse."
     "...un grand cloaque...: des compagnies d'assurance mal famées, des journaux financiers de brigandage, des sociétés, des banques, des agences, des comptoirs, la série entière des...coupe-gorge..."
     

LES CHAROGNARDS SONT LA

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     "Une de ses grosses affaires était...le trafic sur les valeurs dépréciées ; il les centralisait, il servait d'intermédiaire entre la Bourse et...les banqueroutiers, qui ont des trous à combler dans leur bilan ; aussi suivait-il les cours, achetant directement parfois, alimenté surtout par les stocks qu'on lui apportait. Mais, outre l'usure et tout un commerce caché sur les bijoux et les pierres précieuses, il s'occupait particulièrement de l'achat des créances. C'était là ce qui emplissait son cabinet à en faire craquer les murs, ce qui le lançait...aux quatre coins, flairant, guettant, avec des intelligences dans tous les mondes. Dès qu'il apprenait une faillite, il accourait, ...finissait par acheter tout ce dont on ne pouvait rien tirer de bon immédiatement. Il...assistait aux adjudications des créances désespérées.  (...) Et de ces sources multiples, du papier arrivait, de véritables hottées, le tas sans cesse accru d'un chiffonnier de la dette. (...) Dans cette mer de créanciers disparus ou insolvables, il fallait faire un choix, pour ne pas trop éparpiller son effort. ...il professait que toute créance, même la plus compromise, peut redevenir bonne... Mais, parmi les insolvables, il suivait naturellement de plus près ceux qu'il sentait avoir des chances de fortune prochaine... Et, dès qu'il les tenait, les disparus et les insolvables, il devenait féroce, les mangeait de frais, les vidait jusqu'au sang, tirant 100 francs de ce qu'il avait payé 10 sous, en expliquant brutalement ses risques de joueur..."
     

LE CAPITALISME PREPARE LE SOCIALISME

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     "...vous travaillez pour nous, sans vous en douter... Vous êtes là, quelques usurpateurs qui expropriez la masse du peuple, et quand vous serez gorgés, nous n'aurons qu'à vous exproprier à notre tour... Tout accaparement, toute centralisation conduit au collectivisme. Vous nous donnez une leçon pratique, de même que les grandes propriétés absorbant les lopins de terre, les grands producteurs dévorant les ouvriers..., les grandes maisons de crédit et les grands magasins tuant toute concurrence, s'engraissant de la ruine des petites banques et des petites boutiques, sont un acheminement lent mais certain vers le nouvel état social... Nous attendons que tout craque, que le mode de production actuel ait abouti au malaise intolérable de ses dernières conséquences. Alors, les bourgeois et les paysans eux-mêmes nous aideront."
     "Le collectivisme, c'est la transformation des capitaux privés, vivant des luttes de la concurrence, en un capital social unitaire, exploité par le travail de tous... une société où les instruments de la production sont la propriété de tous, où tout le monde travaille selon son intelligence et sa vigueur, et où les produits de cette coopération sociale sont distribués à chacun... (...) Et cela, comme d'un coup de hache, abat l'arbre pourri. Plus de concurrence, plus de capital privé, donc plus d'affaires d'aucune sorte, ni commerce, ni marchés, ni Bourses. L'idée de gain n'a plus aucun sens. Les sources de la spéculation...sont taries."
     "...cela balaie d'un seul coup, non seulement les affaires individuelles, les sociétés d'actionnaires, les associations de capitaux privés, mais encore toutes les sources indirectes de rentes, tous les systèmes de crédit, prêts, loyers, fermages... Il n'y a plus comme mesure de la valeur, que le travail. Le salaire se trouve naturellement supprimé, n'étant pas, dans l'état capitaliste actuel, équivalent au produit exact du travail. (...) Et il faut reconnaître que l'état actuel est seul coupable, que le patron le plus honnête est bien forcé de suivre la dure loi de la concurrence, d'exploiter ses ouvriers, s'il veut vivre. C'est notre système social entier à détruire..."
     "...[la Bourse] sautera d'elle-même, quand l'Etat l'aura expropriée, devenu logiquement l'unique et universelle banque de la nation ; ...elle servira alors d'entrepôt public à nos richesses..."
     

GANGS DE REQUINS SYNDIQUES

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     "...ils décidaient la création d'une maison de crédit, ...au capital de 25 millions divisé en 50 000 actions de 500 francs. Il était...entendu que...quelques-uns de leurs amis formaient un syndicat qui, d'avance, prenait et se partageait les 4/5èmes des actions, soit 40 000, de sorte que le succès de l'émission était assuré, et que, plus tard, détenant les titres, les rendant rares sur le marché, ils pourraient les faire monter à leur gré.
     

LA SPECULATION RYTHME LE POULS DU CAPITAL

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     "Des obligations...C'est de la matière morte... la spéculation, le jeu est le rouage central, le coeur même... il appelle le sang, il le prend partout par petit ruisseaux, l'amasse, le renvoie en fleuves dans tous les sens, établit une énorme circulation d'argent, qui est la vie même des grandes affaires. Sans lui, les grands mouvements de capitaux, les grands travaux civilisateurs qui en résultent, sont radicalement impossibles... C'est comme pour les sociétés anonymes, a-t-on assez crié contre elles, a-t-on assez répété qu'elles étaient des tripots et des coupe-gorge ; la vérité est que, sans elles, nous n'aurions ni ls chemins de fer, ni aucune des énormes entreprises modernes, ...car pas une fortune n'aurait suffi à les mener à bien... il faut l'espoir d'un gain considérable, d'un coup de loterie qui décuple la mise de fonds... et alors les passions s'allument, la vie afflue, chacun apporte son argent... Quel mal voyez-vous là ?"
     

LE MONDE LUI APPARTIENT

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     "Notre Banque universelle, ...elle va être d'abord la maison classique qui traitera de toutes les affaires de banque, de crédit et d'escompte, recevra des fonds en comptes courants, contractera, négociera ou émettra des emprunts. ...surtout, c'est une machine à lancer les grands projets...: là sera son véritable rôle, ses bénéfices croissants, sa puissance peu à peu dominatrice. Elle est fondée, en somme, pour prêter son concours à des sociétés financières et industrielles, que nous établirons dans les pays étrangers, dont nous placerons les actions, qui nous devront la vie et nous assureront la souveraineté... Et, devant cet avenir aveuglant de conquêtes, ...vous vous inquiétez des petites irrégularités fatales, des actions non souscrites... vous partez en guerre contre le jeu... qui est l'âme même, le foyer, la flamme de cette géante mécanique... Sachez donc que ce n'est rien encore, tout ça ! Que ce pauvre petit capital de 25 millions est un simple fagot jeté sous la machine, pour le premier coup de feu ! Que j'espère bien le doubler, le quadrupler, le quintupler, à mesure que nos opérations s'élargiront ! ...je ne réponds pas de la casse, on ne remue pas le monde, sans écraser les pieds de quelques passants."
     

L'ARGENT EST DU CAPITAL CONCENTRE

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     "...personne ne vit plus de la terre... L'ancienne fortune domaniale est une forme caduque de la richesse, qui a cessé d'avoir sa raison d'être. Elle était la stagnation même de l'argent, dont nous avons décuplé la valeur, en le jetant dans la circulation, et par le papier-monnaie, et par les titres de toutes sortes, commerciaux et financiers. ...car rien n'était possible sans l'argent, l'argent liquide qui coule, qui pénètre partout, ni les applications de la science, ni la paix finale, universelle... la fortune domaniale !... On meurt avec un million de terres, on vit avec le quart de ce capital placé dans de bonnes affaires, à 15, 20 et même 30 pour cent."
     

CROISSEZ ET SPECULEZ


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     "...sans la spéculation, on ne ferait pas d'affaires... Pourquoi diable voulez-vous que je sorte mon argent, que je risque ma fortune, si vous ne me promettez pas une jouissance extraordinaire... ?"
     "Il y avait là l'ordinaire résultat que produit toute augmentation de capital : c'est le coup classique, la façon de cravacher le succès, de donner un temps de galop aux cours, à chaque émission nouvelle."
     "Le terrain était préparé, le terreau impérial, fait de débris en fermentation, chauffé des appétits exaspérés, extrêmement favorable à une de ces poussées folles de la spéculation, qui, toutes les 10 ou 15 années, obstruent et empoisonnent la Bourse, ne laissant après elles que des ruines et du sang..."
   

SUR LE FIL DU RASOIR

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     "...il établissait sous un déluge de chiffres, que la somme de 36 millions, donnée comme total approximatif des bénéfices de l'exercice courant, loin de lui paraître exagérée, se trouvait au-dessous des plus modestes espérances. Sans doute, il était de bonne foi, et il devait avoir examiné consciencieusement les pièces soumises à son contrôle ; mais rien n'est plus illusoire, car, pour étudier à fond une comptabilité, il faut en refaire une autre, entièrement."
     "[il] en arriva à expliquer les résolutions qu'il allait soumettre au vote de l'assemblée: le capital porté à 150 millions, l'émission de 100 000 actions nouvelles à 850 francs, les anciens titres libérés, grâce à la prime de ces actions et aux bénéfices du prochain bilan, dont on disposait d'avance. (...)
     ...la vérité était pourtant que la société n'avait pas un seul titre à son nom..."
     "Toutes les valeurs avaient monté, les moins solides trouvaient des crédules, une pléthore d'affaires véreuses gonflait le marché, le congestionnait jusqu'à l'apoplexie, tandis que, dessous, sonnait le vide, le réel épuisement d'un règne qui avait beaucoup joui, dépensé des milliards en grands travaux, engraissé des maisons de crédit énormes, dont les caisses béantes s'éventraient de toutes parts. Au premier craquement, ...c'était la débâcle."
     

SAGESSE DU MARCHE

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     "Son raisonnement était qu'une action vaut d'abord son prix d'émission, ensuite l'intérêt qu'elle peut rapporter, et qui dépend de la prospérité de la maison, du succès des entreprises. Il y a donc une valeur maximum qu'elle ne doit raisonnablement pas dépasser ; et, dès qu'elle la dépasse, par suite de l'engouement public, la hausse est factice, la sagesse est de se mettre à la baisse, avec la certitude qu'elle se produira."
     

LE CAPITALISTE EST UN SOCIALISTE QUI S'IGNORE

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     "...vous qui, avec votre [banque] avez remué et centralisé en 3 ans des centaines de millions, vous ne semblez absolument pas vous douter que vous nous conduisez tout droit au collectivisme... (...) ...l'Etat collectiviste n'aura à faire que ce que vous faîtes, vous exproprier en bloc, lorsque vous aurez exproprié en détails les petits..."
     "Nous supprimerons l'argent... ...la monnaie...n'a aucune place, aucune raison d'être, dans l'Etat collectiviste. (...) Il faut le détruire, cet argent qui masque et favorise l'exploitation du travailleur, qui permet de le voler, en réduisant son salaire à la plus petite somme dont il a besoin... (...) Toutes nos crises, toute notre anarchie vient de là... Il faut tuer...l'argent !"
     "... à quoi bon l'argent, lorsque la société ne sera plus qu'une grande famille, se gouvernant elle-même ?"
     "...tout se supprime, tout se transforme et disparaît... lorsque la valeur de la terre a baissé, ...la fortune foncière, domaniale, les champs et les bois, [ont] décliné devant la fortune mobilière, industrielle, les titres de rente et les actions, et nous assistons aujourd'hui à une précoce caducité de cette dernière, à une sorte de dépréciation rapide... La valeur de l'argent baisse donc, pourquoi l'argent ne disparaîtrait-il pas, pourquoi une nouvelle forme de fortune ne régirait-elle pas les rapports sociaux ?"
     

LA VIE DU CAPITAL SURGIT DU NEANT DU CREDIT

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     "J'ai ici pour plus de 20 millions de créances, et de tous les âges, de tous les mondes, d'infimes et de colossales... Les voulez-vous pour un million ? ...regardez ! dans ce coin, tout ce tas énorme. C'est le néant..., c'est la matière brute, d'où il faut que je tire la vie..."
     

UN "COUPABLE", TOUS COUPABLES !

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     "L'accusation lui reprochait : le capital sans cesse augmenté pour enfiévrer les cours et pour faire croire que la société possédait l'intégralité de ses fonds ; la simulation de souscriptions et de versements non effectués, grâce aux comptes ouverts...aux...hommes de paille, lesquels payaient seulement par des jeux d'écriture ; la distribution de dividendes fictifs...; enfin, l'achat par la société de ses propres actions, toute une spéculation effrénée qui avait produit la hausse extraordinaire et factice, dont [la banque] était morte... A cela il répondait par des explications abondantes... : il avait fait ce que fait tout directeur de banque, seulement il l'avait fait en grand, ... Pas un des chefs des plus solides maisons de Paris qui n'aurait dû partager sa cellule, si l'on s'était piqué un peu de logique. On le prenait pour le bouc émissaire des illégalités de tous. D'autre part, quelle étrange façon d'apprécier les responsabilités ! Pourquoi ne poursuivait-on pas aussi les administrateurs, ...qui, outre leurs 50 000 francs de jetons de présence, touchaient les 10% sur les bénéfices, et qui avaient trempé dans tous les tripotages ? Pourquoi encore l'impunité complète dont jouissaient les commissaires-censeurs, ...qui en étaient quittes pour alléguer leur incapacité et leur bonne foi ? ...pourquoi la faillite, déclarée d'office..., lorsque pas un sou des dépots n'avait été détourné...?"
     

EXTINCTION DE L'ETAT REVOLUTIONNAIRE

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     "Plus d'argent, et dès lors plus de spéculation, plus de vol, plus de trafics abominables... Plus de classes hostiles, de patrons et d'ouvriers, de prolétaires et de bourgeois et, dès lors, plus de lois restrictives ni de tribunaux, plus de force armée gardant l'inique accaparement des uns contre la faim enragée des autres !... ...plus de propriétaires nourris par le loyer, de rentiers entretenus..., plus de luxe enfin ni de misère ! ...pas de privilégiés, pas de misérables..."
     "...pour chaque branche de la production, [un comité directeur] chargé de proportionner celle-ci à la consommation, en établissant les besoins réels... (...) Grâce au grand nombre des bras nouveaux, grâce surtout aux machines, on ne travaillera plus que 4 heures, 3 peut-être... (...)
     Ah ! Que d'activités nouvelles, l'humanité entière au travail, les mains de tous les vivants améliorant le monde ! (...) Aucun prodige n'est irréalisable... La terre enfin est habitable... ...l'enfant choisit librement son métier, que les aptitudes déterminent. (...) Chacun se trouve...utilisé...au juste degré de son intelligence, ce qui répartit équitablement les fonctions publiques, d'après les indications mêmes de la nature. Chacun pour tous, selon sa force..."

ZOLA
L'Argent
(1891)

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